Rue Fromentin
Paru en Septembre 2014
178 pages
16 euros
Quatrième de couverture : Un samedi soir, une librairie de quartier. Comme toutes les nuits, sitôt
le rideau tombé, les livres s'éveillent et se racontent leurs
histoires... Mais ce soir, l'heure est grave : les nouveautés viennent
d'arriver, et les romans du fond de la librairie n'ont plus que quelques
jours pour trouver un lecteur ! Pour sortir par la grande porte, il
leur faudra s'unir et prendre la place des best-sellers solidement
empilés près de la caisse. Autant dire qu'ils n'ont pratiquement aucune chance...
"C’était l’une de ces nuits où sans le savoir on abandonne de
vieilles lunes pour voir le monde sous un nouveau jour, une nuit où les
idées progressent sans qu’on puisse encore les suivre. Une nuit où l’on
grandit."
Avec un humour tout en finesse, Bertrand Guillot invite ses lecteurs à découvrir ce qui se passe dans les rayons d'une librairie "Le Boudoir". Lorsque le libraire éteint les lumières, les livres prennent vie et se battent! Oui! un vent de révolte surgit au coin des étagères. C'est la révolution! Libérez le peuple, libérez les livres! Devant la masse productive, l'arrivée d'un nouveau carton de best-sellers crée la panique parmi les livres rangés au fond de la librairie. Qui sera envoyé au pilon ce lundi ? Les livres débattent, se disputent, s'insurgent et évoquent avec mélancolie, avec nostalgie, avec colère aussi, de leurs conditions. Lorsqu'on sait que la vie d'un livre dépend du choix du libraire de le mettre ou pas en avant, dépend de son succès auprès des lecteurs, que sa durée sur le devant de la scène est au maximum de 3 mois... Le pilon est perçu alors comme une terrible sentence, d'autant plus injuste qu'un livre peut trouver preneur, si on lui accorde une chance. C'est donc plutôt drôle ce côté épique, fougueux que prennent certains discours de livres, devenant des personnages à part entière, avec, grâce à la plume fine de Bertrand Guillot, une âme particulière. Les livres ressentent des émotions. Ils sont prêts à se battre et n'hésiteront pas à prendre en otage une tablette!
J'ai aimé ces dialogues dynamiques et pleins de verve qui racontent si bien la réalité de l'édition actuelle, cette course aux best-sellers, des rentrées littéraires, le turn-over quotidien où (parole d'ancienne libraire) l'on se demande, en voyant les cartons remplis, comment on va ranger tant de livres en rayons. Nous sommes obligés d'en enlever certains. J'ai trouvé les réflexions sur le monde de la librairie très justes et pertinentes. Et l'auteur n'oublie rien... évoquant le métier de critique littéraire, son paradoxe, le combat du papier contre le numérique, la pratique des services de presse, la place accordée aux classiques et les pratiques de lecture. On rencontre de vrais personnages comme le libraire, son apprentie Sarah, sa colocataire Mathilde, les auteurs des livres cités... Sous les couvertures appréhende le monde de la littérature en dressant un portrait parfois bien pessimiste : le poids des grandes chaînes, la mort des petites librairies indépendantes, la lassitude du libraire regrettant son métier tel qu'il était autrefois.
C'est avec subtilité, perspicacité, intelligence que l'auteur manie toute cette réflexion. Si je suis sensible au message, j'ai moins accroché au style épique de cette bataille acharnée mêlant complots et ruse. Tous les coups sont permis pour se retrouver devant la table des nouveautés. Nul doute que l'auteur affectionne les livres car derrière l'humour parfois mordant se cache dans ses propos un brin de sentimentalisme. Et c'est avec poésie et une certaine délicatesse qu'il nous invite à considérer les livres autrement que comme des produits de consommation. Un roman que tous les bibliophiles devraient donc découvrir...
Un grand merci à Price Minister et aux Matchs de la rentrée littéraire.