Le Livre de Poche
501 pages
Prix Ciné Roman Carte Noire 2008
Résumé: Ils avaient été repoussés jusqu’au bord du Pacifique, ils avaient vendu une bonne partie de l’État de Washington pour le prix d’une Buick Regal avec la transmission bousillée, s’ils faisaient un pas en arrière, ils disparaissaient dans l’océan.Personne n’entendrait plus parler d’eux sur cette terre qui leur appartenait, excepté dans les musées d’ethnographie.
Reçu par les soins de Suzanne de Chez les filles.com, L'hiver indien, est un roman portant haut et fort les voiles de la liberté et de la dignité. Percy, jeune indien Makah vit à Neah Bay, une réserve indienne de l'Etat de Washington, qui a préservé toute sa beauté sauvage. Petit port de pêche, les indiens y vivent principalement de pêche et de tourisme. La nature offre un spectacle redoutable: forêt, mer, grands espaces protégés...Mais la réserve indienne où vit Percy offre un tout autre aspect: celui de la misère, des baraques délavées, la saleté des rues, les déchets entassés. Une pauvreté extrême qui se traduit chez les hommes par une dépendance à l'alcool, à la violence et au sexe. L'alcool est un véritable fléau pour les Indiens mais L'hiver indien nous parle surtout de perte d'identité et de dignité. Les Indiens sont parqués dans des territoires limités, l'Etat américain leur supprime touts droits et cette population est victime de racisme, de xénophobie même au XXIe siècle. On retrouve cette méfiance envers "l'homme blanc" même dans les romans jeunesse car Lune indienne mentionnait les mêmes problèmes.
Dans ce climat, Stud, le frère de Percy, sort de prison... Accompagné d'Howard, un vieux poète et sage un peu farfelu, Stud exprime son profond désarroi à son jeune frère. Qu'est-ce qu'un Makah? Que faisait nos ancêtres? Qui sommes-nous? Devant une perte d'humanité, ils décident tous les trois de tenter une purification rituelle afin de réfléchir à l'avenir...hélas, cette tentative de salut; nus comme des vers avec un verre de trop!!! est perçue comme une exhibition qui se doit d'être relevée par le Conseil tribal de la réserve. Les dirigeants Makah crient au scandale mais restent attentifs à l'idée de Stud: chasser la baleine, retrouver les traditions et les cultes ancestraux...afin de redonner un statut à l'identité Makah. Dans leur quête pour la vérité, Stud, Percy et Howard vont être confrontés à l'hypocrisie américaine: les écologistes crient au crime contre une espèce en voie de disparition, alors qu'à juste titre, les Indiens sont aussi une espèce en voie de disparition. Le problème pour nos trois compères n'est pas tant de chasser la baleine mais d'avoir une dignité, une activité autre que celle de boire ou de errer. Le profond combat qui se mène dans l'Hiver indien, n'est pas un problème de pêche, c'est surtout un combat idéologique et philosophique. Comment s'affirmer et retrouver cette valeur qui fait d'un homme qu'il est Indien ?
Non sans défauts, L'Hiver indien est un roman prenant, fait d'ironie et de justes révélations. Roman de réflexion sur la condition indienne aux Etats-Unis, son côté rocambolesque et aventureux n'est pas le principal, il faut saisir l'importance de la philosophie et de cette quête d'identité qui est très symbolique. La quatrième de couverture nous met sur la voie: les Indiens sont présents dans les musées d'ethnographie, guère plus dans la vie où leur identité est transparente, presque invisible. Ils sont connus pour leurs déboires et non pour leurs coutumes, qui si, elles demeurent font figures de spectacles pour les touristes. L'Hiver indien, évoque ce problème en l'exposant d'une manière beaucoup plus subtile, quoique parfois des passages un peu crus pourraient déplaire aux lecteurs; cependant il faut s'arrêter sur l'essentiel: un roman sur l'humanité, la liberté et la force de se retrouver en tant qu'homme. Chasser la baleine c'est la meilleure manière que Stud a trouvé pour retrouver l'estime de soi. J'ai beaucoup aimé et je ne regrette absolument pas cette lecture, qui enrichie par des citations diverses écrites par des Indiens, nous fait comprendre mieux leurs sentiments, cette détresse psychologique, cet abandon à la facilité qu'est l'alcool et qui détruit tout. C'est la volonté de s'en sortir pour tout simplement avoir le respect qu'ils méritent. Ce roman interpelle donc le lecteur sur ces notions fondamentales des droits de l'homme: liberté d'expression, libre d'être quelqu'un. Il ne laissera en aucun cas indifférent non seulement pour son style d'écriture très contemporain, mais aussi pour son sujet de réflexion: la perte des repères, la perte des valeurs ancestrales, le doute face à ce qui touche l'essence même de l'homme, sur la reconnaissance ethnique. Un roman à lire pour tous ceux qui veulent découvrir cette question à la fois ethnologique et philosophique.
Je remercie Suzanne de pour l'envoi de ce roman...
5/5 champignons