Robert Laffont
Collection R
Traduit de l'anglais par Cécile Ardilly
Février 2017
495 pages
18,90 euros
Roman ados dès 14 ans
Thèmes : Dystopie, Société, Morale
Quatrième de couverture : Les commandements du Faucheur : Tu tueras. Tu tueras sans aucun parti pris, sans sectarisme et sans préméditation. Tu accorderas une année d'immunité à la famille de ceux qui ont accepté ta venue. Tu tueras la famille de ceux qui t'ont résisté.
MidAmérique, milieu du 3ème millénaire. Imaginez un monde où l'on a éradiqué les maladies et la mortalité. Afin que les ressources ne s'amenuisent pas et que l'équilibre démographique soit assuré, le Thunderhead a crée une caste de Faucheurs pour le "glanage" des personnes. Si certains Faucheurs prennent au sérieux leur fonction de "tuer" des gens pour le bien commun et le font avec respect, avec empathie et déontologie (car les Faucheurs sont régis par toute sorte de règles et de lois), un autre groupe le fait clairement de manière scandaleuse et révoltante, en organisant des "meurtres" collectifs dans des circonstances soudaines et tragiques. Citra et Rowan vont être choisis par Maître Faraday pour devenir des apprentis-faucheurs malgré leurs réticences. Mais ils vont découvrir que l'art de glaner/tuer relève d'une nécessité et non d'une injustice. Seulement les choses se compliquent lorsque Citra et Rowan vont être mis en compétition. A l'issue des épreuves, un seul sera élu et il devra glaner le perdant...
Je ne vous fait qu'un modeste résumé de ce qu'on peut trouver dans La Faucheuse de Neal Shusterman. Depuis Les Fragmentés (d'ailleurs j'ai retrouvé quelques similitudes dans l'intrigue), Neal Shusterman se faisait discret. Il revient avec La Faucheuse, un titre qui d'emblée m'a attiré et forcément m'a rendu curieuse : faucher étant un terme connu pour désigner la mort. Dès les premières pages on est pris dans cette intrigue qui ne peut laisser indifférent, autant psychologiquement qu'idéologiquement. Glaner pour ne pas dire tuer, revient à parler de la mort en pleine face, sujet délicat et complexe, si ce n'est dérangeant dans notre culture occidentale. Alors en choisissant une intrigue comme celle-ci, l'auteur nous prend de court mais surtout il réussit à nous captiver avant même qu'on rentre dans le vif du sujet. Et pourtant... Malgré l'originalité des propos (l'univers dystopique n'est pas novateur en soi) il n'échappe pas à un manichéisme latent! Et oui, diviser la communauté des Faucheurs entre ceux, de la vieille école, qui respectent les traditions, prennent des précautions, et font de l'art de glaner une vocation, on oppose un groupe de Faucheurs qui s'apparente à des terroristes, glane par masse dans des circonstances dramatiques et sans aucun respect pour l'humanité. Le bien, le mal ? Le système de Thunderhead qui semble omniscient semble également cacher des points importants. Encore mieux, Citra et Rowan vont s'opposer malgré eux et se retrouver avec deux apprentis différents dont l'un est foncièrement mauvais, volontiers manipulateur. On détecte ainsi que derrière l'intrigue de base, il y aura un affrontement, des prises de décision et surtout une confrontation entre deux types de faucheurs, sans compter sur les complots, les trahisons, les desseins cachés. Donc non pour moi il n'y a rien de nouveau dans La Faucheuse mais surtout un je ne sais quoi de perturbant dès qu'on pose la question de tuer en toute liberté ou avoir le choix de tuer. Seul Maître Faraday m'a semblé cohérent et dévoué à sa cause. Les réactions de Citra et Rowan m'ont énormément plu, car chacun suit une réflexion appropriée et apporte une dimension spirituelle et philosophique au glanage qui n'est autre que choisir qui tuer et à quel moment.
C'est donc audacieux dans le fond, prenant et addictif dans la forme car le lecteur assistera à de nombreux rebondissements et à une fin imprévue vraiment explosive et ahurissante dans le sens où l'un des personnages principaux va nous surprendre et poser beaucoup de questions sur la suite. Neal Shusterman a de bonnes idées, certes provocatrices et dérangeantes (certaines scènes atteignent un point d'horreur sans précédent) mais brillamment utilisées dans un roman YA, sans jamais énoncer le poids des religions dans la conception de la mort. Et je dois dire que ça c'est fort et bien amené car lorsqu'on parle de la mort, il est difficile d'éviter le sujet de la morale et de la religion. J'ai eu du mal à m'attacher aux personnages de Citra et Rowan mais j'ai apprécié de suivre leur parcours différent néanmoins comme complémentaire. Ils progressent de manière distincte et Neal Shusterman aura su étoffer la partie psychologique de leur cheminement.
Si j'ai été captivé par ma lecture que j'ai jugé agréable et suffisamment passionnante pour avoir envie de continuer, mon intérêt a redoublé face à un évènement incroyable qui marque une rupture dans l'intrigue, un point de non retour qui rend les choses beaucoup plus attractives et... compliquées ! Incontestablement, La Faucheuse marque un bon début de série. Malgré quelques bémols, je reconnais à Neal Shusterman des idées bien exploitées et une écriture aussi alerte qu'habile. Qu'en sera t-il de la suite ?