Gallimard Jeunesse
Collection Scripto, 2008
160 pages
Roman adolescent dès 12 ans,
Traduit de l’anglais par Catherine Gibert.
Extrait : «Cendres. Si les vies sont des rivières, pourquoi s'étonner que les changements qui les affectent ne nous soient perceptibles qu'une fois rendus en pleine mer ? Il arrive un jour où, balayant du regard ce qui nous entoure, nous constatons que plus rien n'est pareil, pas même notre visage. Il fut un temps où mon nom signifiait fille, petite-fille, amie, soeur, bien-aimée. À présent, il n'a de sens que celui de son orthographe : Étoile dans le ciel nocturne. Vérité au sein de l'obscurité. J'ai traversé les mers pour me rendre dans une contrée où je n'aurais jamais imaginé me rendre un jour. Je suis devenue quelqu'un dont je n'avais pas idée. Un secret. Un rêve. C'est ce que je suis, corps et âme. Brûlez-moi. Noyez-moi. Mentez-moi. Je demeurerai celle que je suis.
Nous habitions un petit village d'Espagne. Il n'existe plus désormais, mais à l'époque, il s'appelait Encaleflora, du nom de la fleur du citron vert, qui réunit à elle seule amertume et douceur. Un village qui avait abrité ma famille cinq siècles durant, une merveille d'architecture dans un des plus beaux paysages d'Aragon. Tout a commencé par une chaude journée d'été. J'étais au jardin quand j'ai senti une odeur de brûlé. Pas celle des fleurs de citron vert, mais de l'amertume à l'état pur. Pépins, peaux, noyaux. C'est ainsi que cela a commencé. C'est ainsi que notre monde a disparu. Le jour du feu, ma très chère amie, Catalina, est accourue dans notre jardin, elle m'a prise par la main, me pressant de la suivre. - Allons à la Plaza, a-t-elle dit. Allons voir ce qui brûle. Catalina était curieuse comme une chatte, on ne s'ennuyait jamais avec elle. Elle avait un rire cristallin. Elle était moins grande que moi, et bien que ma grand-mère ait toujours professé que ses cheveux étaient trop frisés et son nez trop busqué, je trouvais que nous nous ressemblions comme deux soeurs. Nous étions si proches que rien ne pouvait nous séparer. Notre amitié datait de nos plus tendres années. Lorsque je la regardais, je voyais l'enfant qu'elle avait été, la jeune fille qu'elle était à présent et la femme qu'elle serait bientôt. Les autres filles que je connaissais disaient du mal dans votre dos et vous souriaient avec fausseté. Pas Catalina. Elle savait qui j'étais profondément : je pouvais être paresseuse, je croyais en l'amour véritable, j'étais têtue et loyale, son amie pour la vie »
Incantation est le récit poignant d’Estrella, jeune fille de 16 ans qui vit dans un village d’Espagne au XVIème siècle. C’est l’époque de l’Inquisition et des répressions religieuses. Le premier chapitre s’ouvre sur un autodafé qui a lieu sur la Plazza du village. Les livres de médecine y sont brûlés et des soldats s’en prennent à un vieil homme avec un cercle rouge gravé sur son manteau. Estrella a une meilleure amie, Catalina, qu’elle considère comme une sœur. Jusqu’au jour où elle la surprend, en compagnie de sa mère, en train de piller les biens de ses voisins, les Arria, alors qu’ils ont été arrêtés la veille. Estrella commence à se poser des questions sur la mentalité de Catalina et sur elle-même. Des pratiques au sein de sa propre famille la perturbe: que signifie ce rite du vendredi soir, pourquoi fait-elle le signe de croix à l’envers ? Catalina ne manque pas de lui rappeler toutes ces différences de manière hautaine et détestable. Devenant de plus en plus distantes, une autre raison les sépare : Andrès. Estrella en tombe amoureuse alors qu’il est promis à Catalina. Celle-ci devient jalouse :elle se rend compte des sentiments réciproques qu’entretiennent les deux adolescents. Par dépit ou par vengeance, Catalina commet une trahison, bien pire, qui conduira Estrella à un destin cruel…
Incantation est un roman court, saisissant et original. Il montre que le peuple Juif n’était pas seulement persécuté lors de la Seconde Guerre Mondiale. Au XVI ème siècle, l’Inquisition espagnole réprimait ce qu’on appelle les crimes d’hérésie et les faits de sorcellerie. Les premiers touchés étaient les Juifs convertis au Christianisme. L’histoire d’Estrella est entièrement liée à ce fait historique. Sa famille cache le secret de son véritable nom depuis des années pour échapper au massacre. Emouvant et touchant, le livre porte en lui le message du devoir de la mémoire (le dernier chapitre est magnifique !).
Alice Hoffman présente un roman novateur (je pense que c’est bien de raconter l’histoire de ce peuple autrement que par la Shoah). Plusieurs thèmes sont traités avec une sensibilité poétique, notamment la transmission du savoir, les relations intergénérationnelles, les pratiques, les croyances… Ce « témoignage » est placé au cœur d’une histoire d’amour qui va littéralement bouleversée l’avenir d’Estrella et met en garde contre les affres de la jalousie.
Ne connaissant pas Alice Hoffman, je suis tombée sur ce livre (attirée par la couverture sobre) aux rayons nouveautés Littérature de Jeunesse. Je ne regrette pas (puis parfois j’aime prendre un livre que je ne connais pas simplement en lisant la quatrième de couverture). Il m’a ému et profondément touché. Si je devais résumer ce livre en quelques phrases : Une écriture à la tristesse palpable, qui suscite compassion et tendresse.
Collection Scripto, 2008
160 pages
Roman adolescent dès 12 ans,
Traduit de l’anglais par Catherine Gibert.
Extrait : «Cendres. Si les vies sont des rivières, pourquoi s'étonner que les changements qui les affectent ne nous soient perceptibles qu'une fois rendus en pleine mer ? Il arrive un jour où, balayant du regard ce qui nous entoure, nous constatons que plus rien n'est pareil, pas même notre visage. Il fut un temps où mon nom signifiait fille, petite-fille, amie, soeur, bien-aimée. À présent, il n'a de sens que celui de son orthographe : Étoile dans le ciel nocturne. Vérité au sein de l'obscurité. J'ai traversé les mers pour me rendre dans une contrée où je n'aurais jamais imaginé me rendre un jour. Je suis devenue quelqu'un dont je n'avais pas idée. Un secret. Un rêve. C'est ce que je suis, corps et âme. Brûlez-moi. Noyez-moi. Mentez-moi. Je demeurerai celle que je suis.
Nous habitions un petit village d'Espagne. Il n'existe plus désormais, mais à l'époque, il s'appelait Encaleflora, du nom de la fleur du citron vert, qui réunit à elle seule amertume et douceur. Un village qui avait abrité ma famille cinq siècles durant, une merveille d'architecture dans un des plus beaux paysages d'Aragon. Tout a commencé par une chaude journée d'été. J'étais au jardin quand j'ai senti une odeur de brûlé. Pas celle des fleurs de citron vert, mais de l'amertume à l'état pur. Pépins, peaux, noyaux. C'est ainsi que cela a commencé. C'est ainsi que notre monde a disparu. Le jour du feu, ma très chère amie, Catalina, est accourue dans notre jardin, elle m'a prise par la main, me pressant de la suivre. - Allons à la Plaza, a-t-elle dit. Allons voir ce qui brûle. Catalina était curieuse comme une chatte, on ne s'ennuyait jamais avec elle. Elle avait un rire cristallin. Elle était moins grande que moi, et bien que ma grand-mère ait toujours professé que ses cheveux étaient trop frisés et son nez trop busqué, je trouvais que nous nous ressemblions comme deux soeurs. Nous étions si proches que rien ne pouvait nous séparer. Notre amitié datait de nos plus tendres années. Lorsque je la regardais, je voyais l'enfant qu'elle avait été, la jeune fille qu'elle était à présent et la femme qu'elle serait bientôt. Les autres filles que je connaissais disaient du mal dans votre dos et vous souriaient avec fausseté. Pas Catalina. Elle savait qui j'étais profondément : je pouvais être paresseuse, je croyais en l'amour véritable, j'étais têtue et loyale, son amie pour la vie »
Incantation est le récit poignant d’Estrella, jeune fille de 16 ans qui vit dans un village d’Espagne au XVIème siècle. C’est l’époque de l’Inquisition et des répressions religieuses. Le premier chapitre s’ouvre sur un autodafé qui a lieu sur la Plazza du village. Les livres de médecine y sont brûlés et des soldats s’en prennent à un vieil homme avec un cercle rouge gravé sur son manteau. Estrella a une meilleure amie, Catalina, qu’elle considère comme une sœur. Jusqu’au jour où elle la surprend, en compagnie de sa mère, en train de piller les biens de ses voisins, les Arria, alors qu’ils ont été arrêtés la veille. Estrella commence à se poser des questions sur la mentalité de Catalina et sur elle-même. Des pratiques au sein de sa propre famille la perturbe: que signifie ce rite du vendredi soir, pourquoi fait-elle le signe de croix à l’envers ? Catalina ne manque pas de lui rappeler toutes ces différences de manière hautaine et détestable. Devenant de plus en plus distantes, une autre raison les sépare : Andrès. Estrella en tombe amoureuse alors qu’il est promis à Catalina. Celle-ci devient jalouse :elle se rend compte des sentiments réciproques qu’entretiennent les deux adolescents. Par dépit ou par vengeance, Catalina commet une trahison, bien pire, qui conduira Estrella à un destin cruel…
Incantation est un roman court, saisissant et original. Il montre que le peuple Juif n’était pas seulement persécuté lors de la Seconde Guerre Mondiale. Au XVI ème siècle, l’Inquisition espagnole réprimait ce qu’on appelle les crimes d’hérésie et les faits de sorcellerie. Les premiers touchés étaient les Juifs convertis au Christianisme. L’histoire d’Estrella est entièrement liée à ce fait historique. Sa famille cache le secret de son véritable nom depuis des années pour échapper au massacre. Emouvant et touchant, le livre porte en lui le message du devoir de la mémoire (le dernier chapitre est magnifique !).
Alice Hoffman présente un roman novateur (je pense que c’est bien de raconter l’histoire de ce peuple autrement que par la Shoah). Plusieurs thèmes sont traités avec une sensibilité poétique, notamment la transmission du savoir, les relations intergénérationnelles, les pratiques, les croyances… Ce « témoignage » est placé au cœur d’une histoire d’amour qui va littéralement bouleversée l’avenir d’Estrella et met en garde contre les affres de la jalousie.
Ne connaissant pas Alice Hoffman, je suis tombée sur ce livre (attirée par la couverture sobre) aux rayons nouveautés Littérature de Jeunesse. Je ne regrette pas (puis parfois j’aime prendre un livre que je ne connais pas simplement en lisant la quatrième de couverture). Il m’a ému et profondément touché. Si je devais résumer ce livre en quelques phrases : Une écriture à la tristesse palpable, qui suscite compassion et tendresse.