L'Archipel
Traduit de l'américain par Dominique Defert
Mai 2017
327 pages
22 euros
Littérature contemporaine
Quatrième de couverture : Lors d'une expédition scientifique en Afrique, le Dr Hugo Archibald, du Muséum d'Histoire naturelle de Boston, découvre une guenon dont la mère est mourante. Emu, il décide de la recueillir et la prénomme Jennie. De retour à Boston, où l'attendent ses deux enfants, il l'élève comme eux. Tant et si bien que Jennie finit par se comporter comme un être humain : elle apprend à faire du tricycle, se bagarre avec son "frère" et sa "soeur", s'habille toute seule… L'innocence et la manière dont se comporte Jennie font fondre tous ceux qui croisent sa route.
Jusqu'à attirer l'attention d'un primatologue, qui souhaite poursuivre l'expérience de son adaptation en lui apprenant le langage des signes. Mais l'expérimentation terminée, que reste-t-il de la guenon Jennie ? Saura-t-elle trouver sa place dans le monde si cruel des hommes ?
Le roman Jennie est fondé sur une histoire vraie, et il a été adapté en film par les studios Disney. J'ai très envie de le voir même si j'appréhende un peu les émotions qui vont m'assaillir. Jennie est un magnifique roman et surtout c'est un gros coup de coeur. J'ai adoré le style de l'auteur, entre correspondances, interviews des personnages (le Dr Hugo Archibald qui a receuilli la guenon, sa femme Lea, le fils Alexander dit "Sandy" Archibald, la fille, le Pr Pamela Prentiss...), il y a aussi des extraits du journal intime du Révérend Hendricks Palliser, un voisin des Archibald et des interviews du Pr Harold Epstein, un collègue du Dr Hugo Archibald, des articles de presse... Tout ce mélange des points de vue, des regards jetés sur le parcours de Jennie est absolument passionnant et captivant... Les témoignages de la famille Archibald apportent beaucoup d'intensité et d'émotions au récit de la vie de Jennie, c'est l'aspect intime et affectif du livre, opposé aux visions plus scientifiques et érudites mais aussi distantes du Dr Pamela Prentiss et du Pr Harold Epstein qui vont nous expliquer la place du chimpanzé dans l'évolution de l'Homme et recadrer son histoire dans le champ anthopologique. Puis il y a le point de vue du Révérend Hendricks Palliser, un des plus étonnants car cet homme s'était mis dans la tête d'apporter une éducation religieuse à la guenon, ce qui est très surprenant.
Je ne reviendrais pas sur l'histoire de Jennie, recueillie par la famille Archibald, éduquée comme un enfant et c'est troublant, amusant et étonnant de constater à quel point son comportement va s'adapter à celui des enfants, se chamaillant avec Sandy et sa petite soeur, intégrant les notions de famille, de jeux, de mensonges et même de mort. J'ai beaucoup ri et je me suis également attendrie devant les réactions de Jennie et c'est en cela une magnifique histoire familiale, à la fois poignante et bouleversante, car Jennie n'est d'emblée jamais considérée comme un animal de compagnie mais comme un animal doté de capacités humaines et d'adaptation sociale. C'est donc avec beaucoup d'émotions et d'attention que l'on suit ses progrès, son parcours, ses caprices, ses bêtises, son intelligence. Ainsi le roman contient sa part de romanesque même si tout est écrit sous forme de témoignages, d'interviews directes.
L'autre point fort et originalité du roman c'est l'aspect scientifique avec lequel je me suis régalée car ayant étudié l'anthropologie et l'ethnologie, certains propos m'ont rappelé mes cours avec la théorie de l'évolution Darwinienne, les différences entre l'animal et l'Homme et que le comportement de Jennie remet en question certaines théories acquises. Ce qui m'a drôlement étonné ce sont les espoirs du Révérend qui a décidé de donner une éducation religieuse à Jennie en lui proposant des cours de catéchisme dans lesquels il explore la notion de Dieu, de mort. C'est à la fois beau et déroutant de le voir si plein d'espoir mais il finit par comprendre que c'était cruel car Jennie est capable de ressentir la peine et de comprendre ce qu'est la séparation...
Vous l'aurez compris, ce roman est profond et nous fait réfléchir. Tout le long de ma lecture, je n'ai cessé de m'interroger sur le devenir de Jennie dans la famille et il y a aussi, pour ceux qui n'ont pas vu le film, une grande part de mystère et de suspense car dès les premières pages on pressent des tensions et une tournure dramatique, sans savoir réellement ce qui est arrivé à Jennie. Ce n'est qu'à la fin que le drame apparaît dans tout son déchirement pour la famille Archibald car tout est une question de choix. D'ailleurs Sandy qui était très lié à Jennie le dit en ces termes que la famille n'aurait jamais dû accueillir le chimpanzé pour éviter la douleur aux deux parties.
Mais stop, je ne vous en dis pas plus, sachez que ce livre prend au coeur car on ne peut pas être insensible au "charme" de Jennie, que c'est une histoire extrêmement attachante mais aussi triste et mélancolique, qui fait énormément réfléchir sur plusieurs aspects de notre vie mais surtout à l'impact des décisions de l'Homme sur le déroulement de la nature.
J'ai énormément aimé, je me suis passionnée pour Jennie et Douglas Preston m'a redonné envie de relire mes cours d'anthropologie, moi qui étudiante rêvait de travailler au Museum d'Histoire Naturelle. Malgré le côté scientifique, c'est un livre qui va vous étonner pour tout ce qu'on y puise : relations familiales, amour, humour, émotions, action, suspense qui en fait un roman brillant et prenant!!